Pages inspirées par la lecture du Scénario ‘‘Femme écrite’’ par Mehdi
Un texte beau et sincère. Une invitation au rêve. Un hymne à l’amour blessé. Un texte d’un ton libre, osé et sans concession. Dans la scène du Hammam : Le maitre dit : « Je suis le verbe», Dieu donc !
La lecture du scénario est passionnante. Elle convoque à une interactivité stimulante. Chaque passage donne l’envie d’un commentaire à faire, d’une impression à exprimer.
Un réalisateur, Naim, anthropologue ( !) entreprend un travail fictionnel (film) sur Mririda, poétesse libre et rebelle, qu’il trouve en Adjou, prostituée dans un bordel mystique, dont il fera le personnage principal de cette fiction. Adjou est la réplique, réelle et fantasmagorique, de Mririda, qui chante, danse et récite des poèmes dans un bordel.
Naim est spécialiste passionné des signes et des symboles. Il tombe amoureux d’Adjou, double de Mririda. Amour passionné, d’un corps et d’une âme qui se fondent en un signe, un corps écrit. L’amour d’un corps tatoué.
Le récit nous plonge dans un univers étrange et mystérieux … Un univers onirique … les personnages, les dialogues transcendant la réalité commune. En s’inscrivant dans un mouvement de va et vient entre le réel et la fiction, le scénario et le film auquel il prélude, crée le trouble chez le lecteur et déconcerte les non initiés. Il a fallu, à plusieurs reprises, revenir sur certains passages pour en décoder le sens. Le film dans le film, des personnages interchangeables, tout ceci interpelle une narration déroutante.
La dialectique fiction-réalité est poussée à son extrême dan la jalousie naissante d’Adjou envers Mririda. Adjou, la double, est jalouse de l’amour fiction que son amant (le réalisateur) voue pour l’originale, Mririda. Adjou veut être cet original et non son double. Mais cette piste sera, hélas ! abandonnée … La fiction devient réalité, et le démiurge se prend au piège de sa propre création.
Cela transparait dans l’écriture du film que nous avons essayé de deviner à travers l’écriture du scénario. Un style non linéaire qui prend distance et liberté par rapport au temps et à l’espace, le réel et le fictionnel. Style encore une fois qui déconcerte, surtout ce film dans le film. Mais son écriture est maitrisée. Mais nous n’avons pas trop cherché les éventuelles failles et travers que ce voyage entre fiction et réalité pourrait induire.
Le scénario est une invitation à réfléchir sur les tatouages, les signes et leur statut historique et actuel dans la société. La connaissance fouillée sur laquelle il est fondé le rend difficile d’accès et nécessite des retours sur les passages pour en déchiffrer le sens.
« C’est qui Mririda ? Excusez mon ignorance, dit le commissaire. » Et que dire du langage ésotérique de tous ces signes dont il sera question.
Plusieurs passages du scénario nous instruisent sur le tatouage.
On apprend que le tatouage serait une blessure, une violence ritualisée faite au corps pour marquer par la violence un passage initiatique.
Les tatouages seraient aussi des écritures dans un corps et les cicatrices de son cœur. Ils sont douleur de ce cœur inscrite dans son corps. C’est que le corps porte les signes d’une douleur de l’âme. Le signe est expression symbolique d’une âme blessée. Les signes sont le récit d’un drame, d’une souffrance. Nous retrouvons l’une des raisons des tatouages, conserver les traces d’un amour blessé.
Le récit, au fur et à mesure qu’on avance dans sa lecture, apporte une autre dimension du tatouage, son ambivalence. Le signe tatoué est une violence qui mêle douleur et jouissance.
Dans le scénario, le tatouage fondateur de la personne d’Adjou est précédé de son « viol ». Une double violence qui signe la mort et la renaissance initiatique d’Adjou au plaisir et à la douleur de son âme blessé portée dans son corps. Le tatouage est écriture mystique, qui inscrite douloureusement sur le corps lui ouvre les portes de la jouissance et du plaisir. Les gémissements ambivalents du générique simulent l’acte sexuel accompagnant l’acte de tatouage.
Pour finir, j’ajouterai que le scénario est un récit d’une double enquête. L’enquête anthropologique sur les signes et l’enquête policière sur un meurtre.
Et c’est enfin un réquisitoire en faveur d’une culture des signes et d’un peuple qui en est dépositaire. « Je ne sais pas pourquoi dans ce pays on cherche à effacer les écritures, les traces et les notes de musique. »
Nos appréhensions relatives à ce projet concernent son passage à l’écran, sa traduction en écriture cinématographique. Comment en faire un film ?
Nous avons deux remarques principales : i) La langue et le langage du film, ii) Son relent réquisitoire.
i) La langue et le langage du film
L’accès à une meilleure compréhension de cet univers symbolique passe par une maitrise de la langue et une connaissance du cadre de référence pour déchiffrer cet univers des signes et des symboles.
Par exemple, je trouve que la langue de la ‘‘voix off’’ est ésotérique, poétique destiné à un public averti. Comment rendre le sens recherché dans une langue accessible ? Je ne dis pas qu’il faille abandonner le langage poétique et symbolique mais l’assumer en cherchant à établir la communication avec le public. Sauf si l’on écrit pour soi ! Comment concilier entre le signe et le verbe, le dire et le voir ? Ce dilemme me semble traverser une grande partie du scénario.
Cela vaut aussi pour les dialogues. Quel langage sera utilisé dans le film ? Je trouve que les dialogues du scénario sont rédigés dans une langue élaborée.
Je suis sceptique que la darija puisse rendre certains des dialogues dans la poésie ou la profondeur mystique que tu veux leur assigner. Comme dans les dialogues entre Naim et Adjou dans le bordel mystique. Par exemple : comment dire en Darija : « Je suis celle que j’aime et celle que j’aime est moi. » ou encore des jeux de mot comme : « C’est quelqu’un qui disait se séparer de l’autre se parer de l’autre.»
ii) Le réquisitoire.
La double enquête policière et anthropologique glisse subrepticement dans le réquisitoire. On y apprend que le tatouage n’est en fait que l’emblème d’une société secrète (berbère) qui résiste à l’envahisseur (arabe).
C’est là une chute libre du film, bien qu’elle soit annoncée dès le départ.
« Je ne sais pas pourquoi dans ce pays on cherche à effacer les écritures, les traces et les notes de musique. »
La quête des symboles n’est finalement qu’un prévaloir pour plaider une cause politique ou nationale. De l’art à la politique. C’est un peu gênant après tout l’effort déployé pour nous introduire dans un univers onirique !
La poésie qu’inspirent les signes a en elle sa source et sa finalité. Elle plaide sa propre cause. Elle n’a nul besoin du discours politique.
Dans le scénario, la querelle sur l’interprétation des signes : une conspiration pour la bibliothécaire VS une revendication de liberté pour l’anthropologue, marque le passage du discours poétique qui constitue la force de ce scénario au discours politique direct et à une prise de position tranchée, crue et polémique avec le fondamentalisme religieux, l’Etat, etc. C’est trop direct comme discours. Cette partie m’a sorti de ma rêverie pour ne pas dire m’a un peu ennuyé.
Fin
Heureux que le film ne se termine pas sur cette querelle sur le sens des symboles reconstitué mais sur l’anthropologue qui reste la proie de ses fantasmes, mais qui se réalise dans son film...