Poétique et très psychologique, le film est un hymne à la liberté et à la vie (Le Matin)
Scénario, musique, casting, réalisation, tout est réuni pour faire d'«Oud l'Ward» une belle ?uvre cinématographique. Dès les premières séquences, le réalisateur Lahcen Zinoun plante le décor de son film.
D'emblée, le spectateur est jeté dans un univers enchanteur où beauté, musique, chorégraphie, amour, haine et souffrance se mêlent harmonieusement, sans heurt aucun. Les scènes se succèdent comme autant de tableaux peints des mains d'artistes qui «sortent tout droit du début du 20e siècle».
Les costumes de l'époque nous plongent dans le Maroc du 1913 où l'esclavage était encore pratique courante et où la notion des droits de l'Homme était un rêve lointain que n'osent même pas certaines âmes opprimées. Toutefois, le spectre de la liberté plane de tout son poids. Somme toute, le film n'est qu'un prétexte pour mener une réflexion profonde sur le désir de libération, notion chère aux artistes.
Pour l'aborder, le réalisateur a choisi de revenir, dans son premier long-métrage, sur le destin d'Oud l'Ward (Sanaa Alaoui), une esclave vendue, comme un vulgaire objet, à un maître de musique. Etant elle-même une passionnée du luth, elle est entourée d'une attention particulière par le maître des lieux (Mohamed Miftah), un virtuose de grande renommée qui adopte son talent et décide de faire d'elle une musicienne accomplie.
Dans la même demeure, la jeune esclave s'attelle aux tâches ménagères en compagnie de son amie d'infortune et confidente «Daw Essbah» (Hanane Zouhdi). Les deux congénères se consolent mutuellement pour atténuer le poids de l'esclavage. Oud l'Ward, elle, s'accroche à la musique comme à une planche de salut. Quand elle joue du luth, elle oubli tout et s'envole comme un oiseau dans le ciel de la liberté. Quand elle joue, elle envoute également le maître de musique qui décide de la dispenser des autres tâches ménagères pour qu'elle se dédie à la perfection de son talent. Mais le maître n'oublie pas que la belle adolescente n'est pas que son élève. Elle est, avant tout, son esclave. Elle lui appartient. Et l'homme de réclamer son dû et de l'obtenir sans le consentement de la jeune femme.
Amour, jalousie et remords déchirent le maître, alors que l'esclave ne vit réellement que quand ses doigts caressent les cordes de son instrument de musique. Entre les machinations des épouses du maître et la misère de sa situation, Oud l'Ward se voit ouvrir une porte d'espoir qui se referme aussitôt sur elle la jetant dans le désespoir total. C'est la descente aux enfers…
Poétique est très psychologique, le film de Zinoun perce les intérieurs de ses personnages et met à nu leur force et leur faiblesse, leur beauté et la noirceur de leur profondeur. Les gros plans, très prisés par le réalisateur, permettent au spectateur d'aller au-delà des mots et du dialogue pour essayer de comprendre ce qui se profile derrière les dires des personnages. Leurs expressions en disent d'ailleurs plus long que les mots qu'ils prononcent. Il faut dire que les acteurs ont bien traduit la volonté du réalisateur d'adopter un jeu sobre et juste, sans cabotinage ni verbiage. D'ailleurs, même quand un personnage en fait un peu trop, c'est amplement justifié.
Le langage du corps et des yeux sublime l'expression et révèle le côté artiste de Zinoun. L'homme préfère ce qui est visuel à ce qui est dit. Et c'est à juste titre que le verbiage n'a pas droit d'asile dans cette ?uvre où les sens sont stimulés par la beauté des décors, des paysages, des costumes, des prises de vue…On devine très facilement son amour pour la musique. Tout passe par cet art qu'il assimile à la vie. Du coup, cette approche, esthétique par excellence vaut des pamphlets et des thèses académiques sur les concepts très philosophiques de la liberté et du sens de la vie.
Parole de réalisateur
« Mon désir en racontant cette histoire -puisqu'il est toujours question de désir- est de couvrir une période obscure de la vie au Maroc au début du siècle précédent en adoptant un point de vue inédit, à savoir celui d'une esclave. Et entre la reconstitution historique rigoureuse et le surréalisme d'un décor de folie, il est question de trouver un équilibre. Et la notion d'équilibre (musical, psychologique, architectural, historique et autobiographique) est au c?ur des pérégrinations d'Oud l'Ward.
La mise en images est aussi un processus de mise à l'épreuve de cet équilibre.
À la source de la beauté éparpillée, il y a un désir croisé, celui de la musique et de sa signification pour une femme esclave au seuil du siècle précédent qui a connu une vertigineuse descente aux enfers. De la musique comme abstraction de la liberté en quelque sorte. Ce film serait l'occasion d'expérimenter les possibilités d'un genre rare au Maroc, «le biographique». C'est une nouvelle manière narrative ou le visuel prime. Ainsi, la poésie de l'image se mêle à la narration des souvenirs dans un style purement lyrique où la nostalgie prend une dimension esthétique sans que la critique sociale soit pour autant négligée», affirme Lahcen Zinoun.
Par Kenza Alaoui | LE MATIN